Dans la forêt profonde - Anthony Browne (1)
C'est la troisième fois que j'utilise cet album dans ma classe. Enfin, nous, plutôt. Ma collègue – qui a la même classe que moi – et nos deux collègues de CP. Avec comme but une rencontre qui répartira nos 117 élèves en 20 équipes autour d'un grand jeu.
J'ai mis du temps à apprécier l'œuvre d'Anthony Browne. Ça a dû commencer par la série des "Marcel" (Willy, en anglais) que mon aîné rapportait de la bibliothèque. Je trouvais les personnages raides, et les décors "seventies" n'émouvaient pas beaucoup celui qui les a connus !
Je ne sais plus comment nous l'avons choisi : sans doute faisait-il partie de la sélection d'un rallye lecture. Je m'y suis plongé avec le même ravissement et la même envie de tout savoir qu'éprouvés pour "Le château d'Anne Hiversère" de Claude Ponti.
Au fur et à mesure que j'ai lu d'autres albums – et une étude sur lui -, j'ai constaté qu'il s'agit d'une sorte d'aboutissement de son travail précédent. "Le tunnel" ou "Hansel et Gretel" semblent avoir été des sortes de brouillons pour celui-ci, qui me paraît être son chef d'œuvre. (Du moins jusqu'à aujourd'hui) On y retrouve nombre de ses préoccupations, de ses intérêts, de ses "manies", de ses références.
Les contes traditionnels, bien sûr. Mais aussi ce goût pour le kitsch. (Ah, ce pull jacquard et ces tissus à fleurs !)
Les enfants accrochent immédiatement, bien que l'histoire soit très énigmatique et pas simple à décoder. Qu'est-ce qui les – me – touche alors ? Je ne vais pas me lancer dans une analyse dont je suis bien incapable. J'y décèle pourtant la peur de l'abandon, les fantasmes que cela déclenche chez ce petit bonhomme. Comme il mêle la réalité avec les histoires que lui a raconté sa grand-mère, pour laquelle il s'inquiète aussi. Les enfants n'ont pas remarqué tout de suite que les illustrations mélangent éléments en couleurs et parties traitées en gris, selon les personnages, les situations. Les images oniriques sont sans couleurs (excepté le garçon). Il m'a fallu du temps pour prendre conscience que moi, je rêve en couleurs : je me souviens très rarement de mes rêves. Les enfants ont-ils cette conscience ? Je ne sais pas, ils n'ont pas trouvé de réponse à ce choix de l'auteur sur les couleurs…
Il y a aussi un grand contraste entre la représentation de la mère au début et à la fin. De froide, éteinte et distante, elle s'éclaire à la fin. Le dessin, de simple ébauche, devient très réaliste. Cette image où elle ouvre largement les bras a réjoui les enfants qui ont été plusieurs à s'exclamer : "On dirait une vraie !"
Anthony Browne ne nous donne aucune réponse aux multiples questions que l'on peut se poser : pourquoi est-elle si absente au début ? Elle ne dit rien à l'enfant sur la disparition du père. Que s'est-il vraiment passé entre les parents ? Quel est ce grand bruit qui a réveillé l'enfant en pleine nuit ? Ils pensent que c'est l'orage, mais là, c'est l'enfant qui est en gris : rêve-t-il ?
La fin est apaisante, chasse en trois pages toutes les angoisses. Mais nous n'aurons là non plus aucune explication sur ce qui s'est passé dans cette forêt. Seulement un désir : en connaître davantage sur ces personnages rencontrés. L'occasion de leur lire des versions de tous ces contes "cachés". Et de se replonger dans les illustrations à la recherche d'indices, de fausses pistes, d'interprétations.
Nous avons terminé hier ce voyage avec Anthony Browne, les vacances commencent ce soir. De quoi donner le temps – et l'envie – de partir avec cet auteur pour de nouvelles aventures en compagnie de Marcel et des gorilles, ou des enfants si graves de ses albums.