Las d'hernie, erre.

Publié le par Narcisse

A un moment donné, en 2001...

A un moment donné, en 2001...

Aujourd'hui va être une journée particulière pour moi, à marquer d'une pierre – blanche ou noire ? – ou d'un galet.
Une nouvelle année scolaire se termine, et comme chaque fois, je vais me retrouver tout surpris qu'elle soit déjà finie. (Alors qu'en janvier, nous trouvons tous qu'elle est interminable !)
Je ferai exécuter par mes élèves la petite sérénade traditionnelle quand les parents viendront les chercher : trois ou quatre chansons piochées dans la quarantaine que je leur ai encore apprises cette année.
Je trouverai les mots pour remercier chaleureusement chacun des parents qui va m'offrir une boîte de chocolats. J'espérerai le cadeau surprise : fac simile de mon journal de classe, petit bricolage réalisé par l'enfant, ou quelque chose qu'on ne m'a encore jamais offert…
Comme d'habitude je partirai comme un voleur en prenant à peine le temps de claquer la bise à toutes les filles de l'équipe, et sans réaliser vraiment que Michèle ne sera pas là à la rentrée.

Las d'hernie, erre.

Je vais penser à Bernard qui a 61 ans aujourd'hui et a décidé lui aussi qu'il est grand temps de vivre à 100% ses deux passions : la musique et surtout le cinéma.

1980 ?...

1980 ?...

Et puis à Chef bien sûr, qui va achever ce soir son année érotique en entamant dès demain sa 70ème année. Je lui passerai un coup de fil – ben non, je n'ai toujours pas de sans fil ! – parce qu'on ne pourra pas passer.

Las d'hernie, erre.

En effet, pour la première fois en 18 ans, j'ai invité Michelle (et son compagnon) au resto ! Je n'aurai donc pas à me creuser la tête pour savoir si je lui prends des fleurs, une plante carnivore ou du vin. Ni passer des heures à lui gribouiller un petit compliment en forme de Caramel, que je ne sais pas comment lui remettre, et qu'elle ne sait – comme moi d'ailleurs - comment recevoir ! Pendant toutes ces années, nous n'avons même jamais été boire un coup ensemble. Je suis aussi timide et réservé qu'elle, et si vous ne croyez pas, c'est que vous ne me connaissez pas ! J'aurais bien du mal à lui dire en face ce que j'écris ici…

Las d'hernie, erre.

Pourtant, cette année a été spéciale : nous nous tutoyons depuis septembre, un peu par hasard. Alors j'avais accroché une feuille sur le mur de la classe, et tracé une croix chaque fois qu'un de nous disait "vous" à l'autre. La feuille s'est dans un premier temps remplie assez rapidement : dur de changer des habitudes à notre âge ! Et puis ça s'est calmé vers décembre. J'avais fixé à 50 centimes le tarif d'une croix, et proposé qu'on se paie le resto avec. Michelle a perdu 23 à 17. Vingt euros, on avait même pas le McDo pour deux ! Alors je lui dois bien ça et même bien plus !
Après autant d'années, nous parlons rarement d'autre chose que du boulot, des élèves. Nous formons un binôme qui se comprend à demi mot. Elle m'est indispensable et je flippe en songeant qu'elle partira avant moi !
Les très rares fois où elle s'absente, je ne peux que vérifier l'importance de cette relation de travail, avec sa dose d'implicite. Oh, elle est remplacée… physiquement ! Mais impossible de tout expliquer de 18 ans de travail en équipe en deux minutes à quelqu'un qui n'a parfois jamais travaillé en maternelle. Si les élèves progressent dans l'année, c'est autant grâce à elle qu'à moi.
Relation bizarre pourtant, de part la différence de statut, et le fait de dépendre de deux administrations : Education nationale et municipalité. Je ne suis en aucun cas son supérieur hiérarchique. Quand on devient instit, on n'est chef que de soi-même !
Certains parents ont pour elle une forme de mépris, ou du moins de condescendance qui me chagrine (et elle aussi). Les pires de ce point de vue sont souvent des enseignants ! Bon d'accord, c'est moi le "maître", mais ils n'ont pas idée des compétences dont doit faire preuve une ATSEM (Agent Territoriale Spécialisée Ecole Maternelle). Et puis il y a cette fichue blouse, aussi…
Je crois qu'elle m'apprécie, et qu'elle redoute elle aussi que je sois en arrêt, et qu'elle ait à "gérer" un ou une remplaçante en plus des enfants ! (Ceci dit, je connais aussi des remplaçants efficaces, pas vrai Sandrine ?)
Bref il était plus que grand temps qu'on aille dîner ensemble, pour parler des vacances, de ses petits enfants, de cuisine, de balades, de loisirs… enfin de tout ce qui fait la vie sans école, quoi !

Las d'hernie, erre.

Oui, vraiment cette journée sera spéciale. A la fois longue et courte, avec la hantise de l'accident du dernier jour. Ça arrive quand enfants et adultes se relâchent. Bon, avec l'expérience, je sais que je ne relâcherai rien, à guetter "l'heure des doigts dans la porte" !
Pour moi qui essaie toujours d'avoir "un coup d'avance", il va être compliqué de vivre cette journée en en profitant pleinement.
Mais demain matin, à six heures dans ma cuisine, j'aurai le temps d'y repenser…

Publié dans Hum !

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article