Qu'a tôt l'hic !

Publié le 1 mars 2019 par Narcisse

Ecole maternelle : le privé a toute notre confiance - Jacques Littauer

Charlie Hebdo N°1387 - Mercredi 20 février 2019

"Faire de l'école maternelle une école à part entière." C'est ce que Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation de la "start-up nation", propose de faire en rendant l'instruction obligatoire dès l'âge de 3 ans. Il s'agit pour lui de réduire "la première des inégalités, l'inégalité face au langage". Car, sinon, comment les enfants de France maîtriseront-ils demain des éléments de langage robotisés aussi bien que les députés de La République en marche ?
Jean-Michel Blanquer veut créer - tout comme les couches du même nom, mais qui sont destinées à un public plus âgé - une"école de la confiance". Il compte y parvenir par des mesures aussi rigolotes que "l'émergence progressive d'une conscience grammaticale par la lecture de livres, la socialisation par le respect des règles et le jeu, la conscience claire du bien et du mal, et le souci du travail bien fait". Vous les sentez, le "plaisir d'école" et "le bonheur chez nos enfants" ? Jean-Michel y parvient, lui.
Mais Jean-Michel n'est pas seulement capable de phrases telles que "l'école est la réponse la plus fondamentale à tous les défis posés par l'humanité". Non, il est aussi généreux.
Car en rendant l'instruction obligatoire dès l'âge de 3 ans, il oblige, en vertu de la loi Debré de 1959, les communes à financer les écoles maternelles privées sous contrat, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.
A priori, la chose semble anodine puisque, sur 800 000 enfants âgés de 3 ans, seuls 26000 ne fréquentent pas l'école maternelle actuellement. Mais un enfant de maternelle coûte cher, car il consume à petit feu des maîtres et des maîtresses mais aussi ceux que l'administration nomme délicatement Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles). Résultat : un bambin à la maternelle, c'est 5 000 euros par an.
D'où notre problème de CM1 : combien cela coûte-t-il d'enfermer tous les enfants de 3 ans à l'école toute la journée ? Si on multiplie 26 000 par 5 000, ça fait 130 millions d'euros, comme l'ont souligné le Réseau français des villes éducatrices et le Comité national d'action laïque. Et à votre avis, combien l'État va-t-il verser aux communes pour les dédommager ? Là, il faut avoir fait Sciences-Po pour deviner : 40 millions d'euros par an.
Les communes les moins bien dotées vont donc devoir faire des économies, par exemple sur l'enseignement public, pour financer les maternelles privées. Ces écoles pourront ainsi utiliser leurs frais d'inscription pour offrir des services supplémentaires : garde après la classe, activités culturelles, initiation à la spéculation boursière, etc. Services tous plus utiles les uns que les autres, mais que l'école publique ne peut déjà pas offrir.
Mais ne soyons pas inquiets. Le ministre l'a dit, donc c'est vrai, l'école de la République est "la promesse que la naissance ne sera jamais plus importante que les vertus". En effet, "dans nos campagnes, au cœur de nos quartiers populaires, dans nos villes, en périphérie, il y a une école qui dit la même chose. Filles et fils de France, votre pays croit en vous".
Mais lui et le gouvernement auquel il appartient "croient" manifestement quand même un petit peu plus en celles et ceux qui seront scolarisés dans le privé. Alors, aux actuels habitants des ventres maternels, un conseil : si vous n'êtes pas sûrs de vos "vertus" futures, organisez-vous pour que votre naissance ait lieu dans une famille aisée, ce sera toujours ça de pris.